L’augmentation du prix des matériaux de construction, une conséquence directe de la pandémie, donne-t-elle un droit absolu à votre entrepreneur de résilier le contrat si vous refusez l’augmentation de prix qu’il vous impose ?
Vous avez récemment acheté une propriété neuve à un certain prix mais voilà qu’au moment de la livraison de la construction, votre entrepreneur vous annonce un prix supérieur au prix initialement convenu et vous menace de résilier le contrat en cas de refus de payer le nouveau prix. Les motifs qu’il vous donne sont classiques, il est victime de la hausse drastique du coût des matériaux et de la pénurie de main d’œuvre en lien avec la pandémie. Est-il en droit de résilier le contrat pour un tel motif? Quels sont vos droits et les recours possibles ?
Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que chaque cas est un cas d’espèce et que le juge pourra être amené à statuer différemment selon les circonstances entourant l’augmentation du prix.
Toutefois, la bonne foi et la moralité contractuelle doivent prévaloir en tout temps et ces notions guiderons nécessairement le juge dans sa décision. En effet, l’entrepreneur doit toujours agir avec prudence et diligence dans le meilleur intérêt de son client et prendre tous les moyens raisonnables pour réaliser le projet au prix annoncé et dans les délais convenus. Ainsi, le fait pour un entrepreneur d’augmenter le prix de vente en se prévalant de l’augmentation des coûts des matériaux n’est pas en soi illégale mais les circonstances entourant cette augmentation peuvent l’être.
Par ailleurs, l’entrepreneur doit respecter et ce tout au long de l’exécution du contrat, plusieurs obligations sous peine d’engager sa responsabilité contractuelle.
- L’obligation d’information (article 2102 et suivants du C.c.Q):
L’entrepreneur a le devoir de fournir toute information utile à son client tant sur la nature du projet, les ressources et le temps nécessaire pour atteindre la réalisation du projet.
Cette information doit exister depuis la signature du contrat et perdurer durant toute son exécution afin de permettre au client de consentir de manière éclairée à toute étape du projet.
L’entrepreneur devra donc, en temps opportun, vous tenir informé de toute augmentation de prix prévisible. Ainsi, il est important de savoir si au moment de la signature du contrat, l’augmentation des coûts des matériaux était prévisible car si la réponse est oui, ce défaut d’information pourra être reproché à l’entrepreneur comme étant constitutif d’un dol.
Sachez toutefois que l’obligation d’information est bilatérale et qu’en tant que client vous devez aussi vous renseigner tout au long du contrat.
L’APCHP (Association de la construction du Québec et de la corporation des entrepreneurs du Québec) a reconnu que la hausse des prix des matériaux était significative et que la pénurie de main d’œuvre et de matériaux étaient source de retards de livraison.
Toutefois, si la hausse du coût des matériaux a été soudaine, on peut estimer que dès la fin de l’année 2020, un entrepreneur est conscient que des augmentations de coûts de matériaux tout comme les retards de livraison sont prévisibles. Ainsi l’entrepreneur qui fait signer un contrat aujourd’hui le fait en toute connaissance de cause en prenant en considération la hausse du prix des matériaux.
- L’obligation de justifier l’augmentation du coût annoncé :
L’entrepreneur qui vous annonce une augmentation a le devoir de justifier cette augmentation et de démontrer l’imprévisibilité des circonstances ayant causé cette augmentation.
Ainsi, l’entrepreneur ne peut fixer arbitrairement une augmentation sans vous fournir de justification, sous peine d’engager sa responsabilité. Faute de justificatif, vous êtes en droit de solliciter de telles preuves avant d’accepter toute augmentation.
Quid si l’entrepreneur a respecté son obligation d’information et qu’il justifie l’augmentation demandée ? Est-il en droit de résilier unilatéralement le contrat en cas de refus de payer le nouveau prix sans engager sa responsabilité ?
Le code civil prévoit que la résiliation unilatérale du contrat n’est possible que pour un motif sérieux et que cette résiliation ne peut être faite à contretemps (article 2126 Cc.Q). Pour apprécier le motif sérieux, le tribunal prendra en considération les évènements préalables à la résiliation ayant justifié la décision de l’entrepreneur. La jurisprudence considère que, constitue un motif sérieux, une situation ou un état de fait imprévisible lors de la conclusion du contrat et qui ne dépend pas de la volonté personnelle de l’entrepreneur ou du prestataire de services. Ainsi tout dépendra de savoir si, au moment de la conclusion du contrat, l’augmentation du coût des matériaux ou les retards de livraison étaient prévisibles. Si la réponse est oui, l’entrepreneur ne pourra pas se cacher derrière la force majeure pour invoquer la résiliation.
De plus, comme l’entrepreneur doit agir dans les meilleurs intérêts de son client, il ne peut adopter une décision disproportionnée face aux circonstances qui ont menée à l’augmentation en cours de contrat. Il a ainsi le devoir de tenter de négocier avec son client avant d’imposer une résiliation.
L’entrepreneur ne peut pas résilier le contrat à contretemps ou à un moment inopportun, sinon il pourra engager sa responsabilité et être tenu de dédommager le client et ce même en présence d’un motif sérieux.
En tout état de cause, le fardeau de preuve pèse sur l’entrepreneur. C’est à l’entrepreneur de prouver que l’augmentation demandée est réellement due et que le refus pour le client de payer le prix réclamé constitue une faute justifiant la résiliation unilatérale du contrat. Ainsi, l’absence d’une preuve démontrant le bienfondé de la demande rend valable le refus du client de payer le montant réclamé et rend illégale et fautive la résiliation unilatérale du contrat par l’entrepreneur.
Le régime d’indemnisation varie selon que le contrat est résilié pour un motif sérieux ou en l’absence de motif sérieux et/ou à contretemps (articles 2126 et suivants du C.c.Q). Dans le premier cas, la responsabilité de l’entrepreneur se limite à indemniser le client seulement dans le cas ou un préjudice réellement subi était prévisible lors de la résiliation. Si le contrat est résilié sans motif sérieux et/ou à contretemps, cela est constitutif d’une faute contractuelle et l’entrepreneur devra indemniser le client pour tous les dommages subis en lien avec cette résiliation.
Ainsi si vous refusez d’accepter de payer un prix autre que le prix de vente initialement convenu et que votre contrat s’en trouvé résilié, vous avez des recours judiciaires contre votre entrepreneur pour lui réclamer des dommages et intérêts.
Pouvez-vous forcer l’entrepreneur à vous vendre la propriété au prix initialement conclu ?
La question n’a pas encore été tranchée en jurisprudence et cela dépendra des faits entourant l’augmentation. Vous avez toutefois l’obligation de mitiger vos dommages, ce qui pourrait vous obliger à négocier de bonne foi une augmentation raisonnable selon les justificatifs fournis.
Sachez que si l’entrepreneur refuse de vous restituer l’acompte auquel vous avez droit, la GRC (Garantie de construction résidentielle) vous offre une assistance pour déposer une plainte contre votre entrepreneur pour un montant maximum de 50,000 $. Votre entrepreneur a d’ailleurs l’obligation de joindre le contrat GCR aux contrats qui le nécessitent.
Afin d’éviter des surprises, l’entrepreneur devra s’assurer d’intégrer à son contrat des clauses de « Modification du prix » applicable à ce genre de situation. Une telle clause permettra à l’entrepreneur de modifier le prix en justifiant l’augmentation auprès de son client si ce dernier accepte de signer tout document de modification du prix suivant la production de pièces justificatives. Naturellement, une clause permettant à votre entrepreneur de modifier le prix pour n’importe quel motif sera déclarée abusive.
Pour conclure, nous vous conseillons vivement de bien lire les clauses de votre contrat et de vous tenir informé de toutes les questions relatives aux modifications du prix tant lors de la signature de votre contrat que pendant toute son exécution.