Droit de la copropriété

L’implication communautaire est un besoin essentiel au fonctionnement de divers milieux de notre société. Certains visent une grande collectivité, par exemple les organismes communautaires ou politiques qui ont toujours un besoin criant de bénévoles. D’autres milieux vont plutôt viser une plus petite échelle. C’est le cas notamment des copropriétés. Le dernier recensement de 2016 mettait en lumière que les groupes habitant principalement les copropriétés du Québec sont d’abord les jeunes ménages souhaitant se constituer une équité à court terme, et ensuite les ménages vieillissants dont les enfants ont quitté le nid familial1. Les uns, voyant leur logement davantage comme un investissement que comme un foyer à long terme, et les autres souhaitant se libérer des obligations inhérentes à la propriété d’une résidence. Ce n’est donc pas, a priori dans ces deux groupes majoritaires que se trouve le profil type du membre motivé à se dévouer pour l’administration de sa copropriété.

Le recrutement de volontaires non rémunérés étant en soi un défi, il l’est a fortiori lorsque le poste à pourvoir implique de grandes responsabilités. Les conseils d’administration doivent assurer la gestion quotidienne de la copropriété, son administration, la tenue de ses livres, la détermination des contributions aux charges communes et bien plus encore. Ainsi, les problèmes de recrutement et d’implication aux conseils d’administration peuvent avoir de lourdes conséquences sur l’évolution d’une copropriété et sa gestion peut devenir un véritable casse-tête.

 

Quel est donc le remède à la paralysie décisionnelle découlant d’une insuffisance d’administrateurs au conseil d’administration d’un syndicat de copropriétaires?

Il est tout d’abord incontournable de se rappeler les conditions qu’impose notre droit civil en matière d’élection des administrateurs. Une copropriété est une personne morale, dont le mandataire est son conseil d’administration2.  Les administrateurs sont désignés par les membres de l’assemblée générale3, soit en l’espèce, les copropriétaires, avec un quorum de 50% des voix. Le Code civil du Québec ajoute que « si le quorum n’est pas atteint, l’assemblée est alors ajournée à une autre date, dont avis est donné à tous les copropriétaires; les trois quarts des membres présents ou représentés à la nouvelle assemblée y constituent le quorum (…) »4.  L’article 340 CcQ prévoit d’ailleurs qu’ « en cas de démission d’un administrateur, les autres administrateurs comblent les vacances au sein du conseil, jusqu’à la date de la prochaine assemblée des copropriétaires ».

Pour être valide, l’élection doit non seulement respecter le quorum, mais les questions soumises à l’assemblée et la convocation elle-même doivent aussi se conformer aux exigences de la déclaration de copropriété et de la loi5. Si une condition de validité prévue fait défaut, l’élection peut alors être renversée par le biais de l’article 1103 CcQ, et toute action portée par l’administrateur irrégulièrement élu peut donner lieu à un recours en quo warranto6.

Nonobstant ce qui précède, une élection d’administrateurs, tout aussi régulière soit-elle, ne pourra donner naissance à un conseil d’administration en l’absence de candidat. De même, la règle prévue à l’article 340 CcQ citée plus haut exige qu’il reste au minimum un administrateur en poste pour assurer la gestion du CA en attendant la prochaine assemblée. Idéalement, lorsque la majorité des membres d’un conseil démissionnent ou ne reconduisent pas leur mandat, la déclaration de copropriété aura prévu une administration provisoire, ou encore, un des membres sortants restera en poste de façon conservatoire. Une assemblée générale extraordinaire avec comme point à l’ordre du jour l’élection d’un nouveau conseil d’administration7 sera alors tenue et permettra une transition optimale.

Ce scénario n’est cependant pas toujours possible. Souvent, non seulement les déclarations de copropriété ne prévoiront pas d’administration provisoire, mais elles vont exiger d’un copropriétaire qui souhaite tenir une assemblée spéciale de son propre chef, qu’il en face préalablement la demande à son conseil d’administration. Un délai commence alors à courir au terme duquel, suivant l’inaction de son conseil, s’ouvre le droit du copropriétaire à convoquer l’assemblée. Dans ces circonstances, et en l’absence d’administrateurs en poste, la jurisprudence confirme que ce sera aux tribunaux de nommer un conseil.

C’est ce qu’a confirmé la Cour du Québec en 2004, dans l’affaire Adélard J. Gagné c. Syndicat de la copropriété Place Montpellier 561 et Michel B. Galand (ci-après « le syndicat »). La Cour était saisie d’une réclamation pécuniaire contre le syndicat intentée par l’un de ses membres, M. Gagné. Ce dernier demandait à être compensé pour les débours et inconvénients qu’il avait dû encourir pour faire élire un nouveau conseil d’administration après la démission de tous les membres du CA précédents. Effectivement, suivant cette démission successive des administrateurs, M. Gagné avait dû engager un avocat pour faire parvenir aux autres copropriétaires un avis formel de convocation d’assemblée générale avec à l’ordre du jour l’élection d’un nouveau CA. Dans sa demande, M. Gagné prétend qu’il était de la responsabilité du syndicat et de son ancien président, M. Galand, qui était aussi membre du CA avant de démissionner des deux postes, de convoquer l’assemblée.

La Cour du Québec rejette la demande de M. Gagné. Elle réitère le caractère facultatif de la tâche d’administrateur, codifié à l’article 338 al. 2 du Code civil du Québec, et précise qu’aucune obligation ne lie, ni les administrateurs sortants d’un conseil d’administration, ni le syndicat de la copropriété. Le tribunal s’exprime ainsi :

ce n’est pas la personne morale qui élit le conseil d’administration, mais bien les membres, en l’occurrence les copropriétaires. Même si une obligation légale existe pour nommer ou remplacer les membres du conseil d’administration, cette responsabilité n’incombe pas à la personne morale elle-même et en ce sens le recours du demandeur contre le syndicat défendeur est mal fondé pour ce motif.8


De plus, la Cour présente les options que pouvait valablement exercer M. Gagné à la suite du démantèlement de son CA. D’abord il aurait pu tenter de convaincre tous les copropriétaires de tenir une assemblée générale spéciale aux fins d’élire un nouveau conseil. C’est d’ailleurs ce qu’avait tenté de faire M. Gagné, mais ses mauvaises relations avec les autres copropriétaires avaient eu raison de ses tentatives. En cas d’impasse, s’ouvrait ensuite à lui le recours prévu à l’article 1084 al. 2 du Code civil du Québec, qui permet à un copropriétaire de saisir le tribunal pour faire « nommer ou remplacer un administrateur et fixer les conditions de sa charge ».  

Une nouvelle disposition ajoutée au Code civil du Québec en 2019 pourrait aussi s’avérer intéressante. Effectivement, l’article 1086.4 CcQ permet au tribunal de remplacer un conseil d’administration, « par un administrateur provisoire et [de] déterminer les conditions et modalités de son administration ». Peut-on conclure que cette disposition s’applique à un conseil d’administration paralysé par un problème de quorum ou d’implication? Les tribunaux n’ont pas eu l’occasion de se pencher sur l’application de cette disposition sur le fond, et les circonstances justifiant son application n’ont pas encore été définies. Nous ressortons cependant des débats parlementaires qu’il s’agit d’une administration de courte durée, applicable, « par exemple, en cas de dysfonctionnement majeur de la copropriété »9,  et que le tribunal détient « la discrétion […] de pouvoir prendre sa décision au meilleur joueur […] possible, en fonction de la situation qui se présente »10. Nous en concluons que l’administrateur répond au tribunal et peut être un tiers.

La seule décision ayant cité l’article 1086.4 depuis son entrée en vigueur est 6169970 Canada inc. c. Syndicat Rosa Nova qui oppose des membres de l’assemblée générale du Syndicat Rosa Nova. La demande faisait suite à la nomination conflictuelle d’un des administrateurs. Lors de l’assemblée générale visant la formation d’un conseil de 5 administrateurs, 4 de ces derniers ont été élus alors que la nomination du cinquième avait divisé le vote 50/50. La Cour supérieure était donc appelée à juger d’une demande en injonction provisoire visant la nomination dudit administrateur en tant qu’administrateur provisoire. Considérant la nature de l’ordonnance demandée, les critères étudiés par la Cour ont été l’urgence de la situation, la présence prima facie d’apparence de droit, la balance des inconvénients et le risque qu’une partie subisse un préjudice sérieux ou irréparable. Sur ces critères, les demandeurs n’ont pas rempli leur fardeau de preuve. Quant à l’application concrète de l’article 1086.4 CcQ, la Cour se contente d’affirmer :

“it may be that after the parties have been heard on their respective positions at the interlocutory stage, the only workable solution available to them at that time may be the appointment of a provisional director as foreseen under article 1086.4 C.C.Q. – but we are not at that stage, and I am not sitting at the interlocutory hearing of this case11.”

 

En conclusion, les copropriétaires sans conseil d’administration et dont la réglementation interne est silencieuse sur les procédures applicables en de telles circonstances, peuvent saisir les tribunaux pour que ces derniers nomment une nouvelle administration et en délimite la charge. Notre Code civil nous permet aussi d’espérer une diversité de recours par la possibilité de faire nommer un administrateur provisoire. Cela reste cependant à être confirmé par les tribunaux. Néanmoins, il est important de se souvenir qu’encourir des procédures judiciaires pour de telles demandes confronte les copropriétaires aux délais et couts intrinsèques du système de justice. Il est donc pertinent pour les copropriétés de s’interroger sur les raisons profondes qui entrainent la désertion des CA, et tenter de se dynamiser et d’innover en amont pour motiver leurs membres à s’impliquer, pour le bien de la copropriété et l’ensemble des copropriétaires.

[1] L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), l’essor de la copropriété au Québec, 2019 aux p 8 et 9.
En ligne : https://www.apchq.com/download/0fcf1c96448169d3712c30e044571d8efc950df1.pdf

[2] art 321 CcQ.

[3] art 338 al 1 CcQ.

[4] art 1089 al 1 et 2 CcQ.

[5] Syndicat de la copropriété Monte Carlo Condominiums Phase « B » c. Dolbec, 2006 QCCS 6363 para paras 59-73

[6] Syndicat de la copropriété Monte Carlo Condominiums Phase « B » c. Dolbec, 2006 QCCS 6363, au para 42

[7] André M. BENOÎT, et Marie TRUDEL, Manuel de gestion d’un syndicat de copropriété divise au Québec, Montréal, Wilson & Lafleur, 2009, point 131.1084,
En ligne : https://edoctrine.caij.qc.ca/wilson-et-lafleur-livres/59/469354492

[8] Gagné c. Syndicat de la copropriété Place Montpellier561, 2004 CanLII 4674 (QC CQ), au para 50.

[9] QUÉBEC (Assemblée nationale), Journal des débats. Commission de l’aménagement du territoire, 1re session, 42e législature, 20 aout 2019, «Projet de loi n° 16, Loi visant principalement l’encadrement des inspections en bâtiment et de la copropriété divise, le remplacement de la dénomination de la Régie du logement et l’amélioration de ses règles de fonctionnement et modifiant la Loi sur la Société d’habitation du Québec et diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal».
En ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-16-42-1.html

[10] Ibid.

[11] 6169970 Canada inc. c. Syndicat Rosa Nova, 2020 QCCS 3072.