Covid-19
Un avocate et fondatrice d’un cabinet montréalais prend la plume pour décrire son quotidien depuis le début de la crise. Que voit-elle dans sa boule de cristal?
Ce fléau qui vient accabler et renverser l’ordre du monde dans lequel nous vivons est catégorisé comme « virus » par les médias et les instances politiques.
Depuis quelques semaines, nos vies se sont arrêtées et nous voilà totalement déconcertés devant l’exigence soudainement apparue de redéfinir notre quotidien.
Heureusement pour nous, la technologie nous procure opportunément une assistance sans pareille !
Bien que je sois loin de me définir comme pessimiste, cette nouvelle réalité m’oblige à la percevoir avec réalisme sinon lucidité…
Alors que nos chefs d’État nous assènent les nouvelles au jour le jour et qu’ils nous confinent deux semaines à la fois, ils annoncent en parallèle des mesures qui s’étendent sur plusieurs mois, voire sur plusieurs années.
La réalité veut que sans vaccin contre la Covid-19, nous ne pouvons espérer aucun changement significatif ni même la reprise d’une vie normale; n’oublions pas que nous attendons encore que les chercheurs mettent au point un vaccin contre le SIDA, maladie qui a fait son apparition il y déjà une quarantaine d’années…
Savoir s’adapter
Mon analyse ? Il ne s’agit pas d’une « crise pandémique », mais bien de l’émergence d’un nouveau monde auquel il nous faudra coûte que coûte nous adapter. C’est dire que nous devrons vivre dans les conditions actuelles, avec toutefois quelques variances, qui seront à définir au fur et à mesure de l’évolution de cette réalité.
Pour nous les avocats, qui sommes plutôt réfractaires au changement et plus particulièrement encore à l’utilisation de la technologie en lieu et place du bloc-notes jaune 8 ½ par 14 et du Mont-Blanc qui l’accompagne le plus souvent, nous faisons face à un choc culturel considérable !
Et pourtant, après plus de trois semaines de confinement et de réorganisation mentale, psychologique et professionnelle, je m’aperçois qu’abstraction faite de la souffrance et de la maladie que provoque ce « virus », ce nouveau mode de vie est absolument extraordinaire!
Je me suis souvent dit : « Si seulement je pouvais mettre le monde sur pause pendant un moment pour me permettre de me mettre à jour, de faire tout ce que je n’aurai jamais le temps de faire autrement et de prendre le temps de souffler quelque peu. »
Eh bien, le moment est venu et ça m’apparaît presque surréaliste. Notre bureau d’avocats, constitué d’une équipe d’une vingtaine de personnes, s’est organisé et adapté à notre nouvelle façon de vivre avec une rapidité et une efficacité surprenantes.
Une fois installés chez nous avec les dossiers en cours, la connexion à distance au bureau et la téléphonie IP qui nous permet d’apporter notre téléphone à la maison, voilà que nous constatons que notre fonctionnement est non seulement possible, mais nettement plus efficace.
Une fois dissipé le désagrément de ne pas se trouver sur place au bureau et d’avoir des face-à-face avec nos collègues pour discussions diverses, on remarque à quel point notre pouvoir d’adaptation est fascinant.
Nos meetings internes ou même nos rencontres avec nos clients se tiennent grâce aux outils technologiques, sans déplacements coûteux en temps ni perte de temps, et notre productivité s’en voit grandement augmentée.
C’est ainsi qu’une nouvelle routine s’est progressivement installée. Bien sûr, ce sont les événements qui nous l’ont imposée, mais force est de constater qu’elle offre d’extraordinaires avantages.
Ce temps gagné en ne me déplaçant plus, équivalant à deux heures par jour en moyenne, est précisément ce qu’il me manquait dans mes journées.
Ma nouvelle organisation à la maison ? Une séance d’exercices intensifs avec mes trois garçons adolescents (15, 17 et 19 ans), suivie d’une course à l’extérieur quand le climat le permet.
Je m’installe ensuite à mon poste de travail avec une nouvelle énergie et j’entreprends ma journée comme d’habitude.
Nouvelle réalité virtuelle
L’un des défis qui se pose encore dans notre pratique sera d’avoir nos auditions de façon virtuelle. Oui, cela se fait déjà et se fera de plus en plus. On peut craindre, en revanche, que nos procès y perdent un certain charme, que tout ce qui se dégage de l’atmosphère générale, de la gestuelle, du silence de la réflexion et de la stratégie, de celui des protagonistes dans une salle de cour, soient moins perceptibles sur un écran et ne fournissent donc pas une lecture additionnelle des enjeux en cause dans le cadre d’un procès.
Bien que nous ne saisissions pas encore l’ampleur ni les conséquences de cette métamorphose mondiale, il me paraît inutile de s’abandonner dans un sentiment de dépression ni de devenir défaitiste ou fataliste : il s’agit simplement de se montrer pragmatique et de s’adapter du mieux possible à notre nouvelle réalité.
Des changements dans notre pratique, susceptibles d’améliorer notre efficacité, s’imposent depuis longtemps. Plusieurs choses me viennent à l’esprit, par exemple l’abolition des significations personnelles de procédures – lesquelles devraient automatiquement se faire par moyens technologiques plutôt que par huissier -, l’assermentation d’une déclaration par commissaire devenue redondante et désuète, la signature de l’affiant faisant foi en soi de l’intégrité du contenu du document par une simple allégation à cet effet en fin de procédure.
Des changements seraient tout aussi indispensables en litige civil, familial ou autre, tel qu’en matière d’actions collectives : chaque dossier devrait être assigné à un seul juge du début à la fin de l’instance, car il n’existe aucune meilleure façon d’en assurer la bonne marche et l’efficacité.
Lorsque le temps sera venu de repenser les choses et que nous serons mieux adaptés à notre nouveau quotidien, nous pourrons poursuivre cette réflexion et faire des modifications pragmatiques facilitant nos façons de faire, réduisant les honoraires pour les contribuables et permettant un meilleur accès à la justice, tout en écourtant les délais que l’on connaît.
Les pauses dans ma journée me permettent d’observer mes enfants et leurs interactions. Je constate, hormis le fait d’avoir fait un travail dans leur éducation qui me rend extrêmement fière, qu’ils découvrent de nouvelles passions et que s’accroît dans le contexte de ce confinement la complicité qui les lie. Ils s’entraînent ensemble, le plus jeune apprend au plus vieux à jouer du piano, ils lisent des livres en version papier et s’éduquent mutuellement sur les sujets qui les passionnent distinctement, qu’il s’agisse de finance, de droit, de technologie ou autre.
De multiples bienfaits
A tout évènement, les bienfaits de cette « crise » me semblent personnellement considérables. Elle nous permet de nous mettre sur pause pour prendre le temps de nous interroger sur ce que nous sommes, ce que nous aimons, comment nous nous projetons. Elle permet par ailleurs aux collectivités de s’interroger sur les plans existentiel et éthique, de se remettre en question et de redéfinir divers aspects de leur fonctionnement selon de nouveaux paramètres. Pour moi qui ai toujours rêvé d’être philosophe, cette pause de réflexion est tout simplement enivrante!
Depuis l’application de la mesure de confinement, on peut observer que les gens se montrent plus cordiaux les uns avec les autres, sortent prendre des marches en famille, font de l’exercice, partagent des moments de musique avec leur voisinage sur leur balcon, toutes choses que l’on négligeait ou que l’on ne prenait pas le temps d’accomplir dans notre folle course contre la montre.
Soudainement, guerres et conflits sont passés en arrière plan : en effet, il ne s’agit plus de s’entretuer, mais de se solidariser pour aller à l’essentiel : partager de l’équipement médical, reconnaître la valeur de ceux et celles qui se sacrifient pour protéger et soigner, mettre en commun toutes les recherches pour découvrir le vaccin qui neutralisera ce virus. La contamination n’épargnant personne, les notions de classes sociales, de célébrité, de pouvoir et de privilège ont soudainement cessé de signifier quelque chose ou d’opérer leur magie.
En tant qu’êtres humains, il ne fait aucun doute que nous saurons nous adapter à cette situation et réorganiser nos façons de faire : il y va de notre survie ! Exit la peur, l’anxiété et le désarroi. Les jours à venir ramèneront à l’avant-scène de notre fonctionnement collectif la nécessité de coopérer pour se rebâtir et établir de nouvelles normes, capables d’assurer la survie de l’humanité.
Pollution, émission de gaz à effet de serre, déboisement intensif, saccage des mers, fleuves et rivières, pour ne nommer que quelques-uns de nos innombrables méfaits, notre planète n’en pouvait plus de crier à l’aide. C’est ainsi, je crois, qu’elle a décidé de contre-attaquer sa destruction causée par un virus, car, ne nous le cachons pas, ce virus, c’est NOUS LES HUMAINS !
Sur l’auteure
Me Gabrielle Azran est avocate depuis une trentaine d’années et médiatrice. Elle pratique en litige civil, familial et en matière d’actions collectives. Elle est l’associée fondatrice de l’étude Azran & Associés Avocats inc., laquelle comprend une douzaine d’avocats pratiquant dans plusieurs domaines.
Article publié le 2020-04-13 sur Droit-Inc.
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