Droit de la copropriété

Avec la venue de la pandémie de la COVID-19 et la montée en popularité du télétravail dans la majorité des milieux professionnels, plusieurs citadins y ont vu l’opportunité de migrer vers la banlieue éloignée de Montréal. Nous assistons ainsi depuis plusieurs mois à un mouvement que l’on pourrait qualifier d’exode urbain. Par ricochet, les grands immeubles de la métropole voient leurs unités de condo de plus en plus assujetties à des baux de logement, les propriétaires profitant des circonstances pour rentabiliser leur résidence qu’ils n’occupent plus.

Quelles sont les conséquences sur les droits des copropriétaires qui peuvent alors voir leur quiétude être perturbée par cet afflux de location?

La déclaration de copropriété qui intervient entre les copropriétaires d’un immeuble est indubitablement de nature contractuelle. En effet, celle-ci revêt tous les attributs constitutifs d’un contrat : Elle représente un accord de volonté, par lequel une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à exécuter une prestation (1378 Code civil du Québec). Tel que Me Christine Gagnon l’indique dans son ouvrage La copropriété divise, « dans la déclaration de copropriété, tous les propriétaires s’entendent, de façon unanime, pour établir la modalité, pour déterminer l’intérêt de chaque copropriétaire par le biais de la valeur relative des fractions, pour fixer les limites des parties privatives, pour qualifier certains éléments communs et d’autres de privatifs, etc. ».1

La déclaration de copropriété tient donc contractuellement les copropriétaires engagés, les uns envers les autres, au respect de ses dispositions. Qu’advient-il de ces obligations au moment où une unité de l’immeuble en copropriété est louée via un bail de logement? Qu’arrive-t-il lorsque les locations deviennent préjudiciables aux copropriétaires résidents qui voient alors leur cadre d’habitation qui fût un jour stable, tranquille et sécuritaire, être désormais grandement affecté et changé?

Évidemment, on ne peut se prononcer sur cet enjeu sans adresser le fait que notre droit civil québécois est régi par les principes essentiels que sont la liberté contractuelle et le fait qu’un propriétaire a le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement de son bien, sous réserve de certaines limites. Ce sont sur ces limites que nous nous attarderons.

C’est l’article 1056 du Code civil du Québec qui impose une limite importante à la liberté contractuelle des copropriétaires en énonçant que « la déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits de copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l’immeuble, ses caractères ou sa situation ». Ensuite, l’article 1063 C.c.Q. vient renforcer ce point en ajoutant que « chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l’immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble ».

C’est là qu’il devient intéressant de s’attarder à la notion de « destination de l’immeuble ». Dans les travaux préparatoires de la loi française qui a servi d’inspiration à notre propre législation, on y proposait cette définition : « L’ensemble des conditions aux vues desquelles un copropriétaire a acheté son lot, compte tenu des divers éléments, notamment de l’ensemble des clauses, des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l’immeuble, ainsi que de la situation sociale des occupants »2. Cette définition fût d’ailleurs reprise par plusieurs tribunaux québécois en la matière.

En étudiant la jurisprudence relative à cette question, on réalise que les tribunaux ont abordé très prudemment la limite à laquelle le Syndicat des copropriétaires d’un immeuble doit se plier lorsque vient le temps de brimer certains droits et libertés de ses copropriétaires.

La Cour d’appel en a traité dans la décision de principe Kilzi c. Le Syndicat des co-propriétaires du 10 400 boul. L’Acadie3 dans laquelle les copropriétaires, pour contrer la location à court terme des unités de condo de leur immeuble, y ont décrits les caractéristiques et l’environnement de l’immeuble comme suit : « la qualité de l’ensemble, le calme, la tranquillité, l’absence d’activités bruyantes, la sécurité de l’immeuble, l’entourage, la grandeur des unités, leur état neuf… ». En tenant compte de ces attraits propres à l’immeuble, le tribunal en est venu à la conclusion que la destination de l’immeuble permettait d’imposer des restrictions aux locations à court terme, jugeant alors que ces restrictions confirmaient le caractère résidentiel de la copropriété et visaient à assurer un exercice raisonnable du droit de location.

Dans Rathé c. Syndicat de la copropriété 7 Sainte-Angèle4,  le Syndicat de copropriété a autorisé par règlement la location d’appartements pour des périodes de moins d’un an, mais de plus de 30 jours. L’un des copropriétaires est venu s’en plaindre à la cour, prétendant que cela contrevenait à la déclaration de copropriété en affectant considérablement la quiétude et la sécurité de l’immeuble. La décision est pertinente en ce qu’elle vient faire la distinction entre ce qui est commercial ou pas dans la location d’appartements et elle en conclut que la location d’appartements pour une durée supérieure à 30 jours est sans aucun doute une activité non commerciale et un usage d’habitation respectant la destination de cet immeuble. Elle demeurera donc une activité d’habitation autorisée.

Cela étant dit, il est important d’observer les conséquences que peuvent avoir une modification du règlement de l’immeuble sur les droits et obligations des locataires. Ces derniers sont-ils liés par cette modification? L’article 1057 C.c.Q. prévoit que « le règlement de l’immeuble est opposable au locataire ou à l’occupant d’une partie privative, dès qu’un exemplaire du règlement ou des modifications qui lui sont apportées lui est remis par le copropriétaire ou, à défaut, par le syndicat ». Le problème avec cette modification, quelle qu’elle soit, ce sont les règles relatives au bail de logement qui sont, par ailleurs, d’ordre public et qui viennent nous dire, plus particulièrement à l’article 1942 C.c.Q., que les conditions du bail ne peuvent être modifiées, sauf lors de la reconduction, et sur un avis préalable de 3 mois avant l’arrivée du terme. Un locataire se trouverait donc contraint à respecter une telle modification qu’à l’arrivée du terme de son bail.

Sur cette question de l’opposabilité du règlement de l’immeuble à un locataire, nous devons aborder la décision Syndicat de copropriété du lot 4185331 c. Staikos5, dans lequel le Syndicat vient réclamer à l’un de ses membres copropriétaires des dommages-intérêts imputables aux aboiement continuels du chien de sa locataire, s’appuyant sur les dispositions relatives à la nuisance prévues au règlement de l’immeuble. La cour a alors établi que la locataire n’étant pas signataire de la déclaration de copropriété ni assujettie à celle-ci, il n’existait aucun lien de droit entre elle et le Syndicat et a donc refusé toute réclamation à la locataire. C’est le propriétaire qui s’est retrouvé condamné à payer des dommages-intérêts au syndicat pour la faute de sa locataire.


[1] Christine GAGNON, La copropriété divise, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvons Blais, 2015, p. 722.


[2]François GIVORD et Claude GIVERDON, La copropriété, 4e éd., Daloz, Paris, 1002, p. 296.


[3] Kilzi c. Syndicat des co-propriétaires du 10 400 boul. L’Acadie, 2001 CanLII 10061 (QCCA).


[4] Rathé c. Syndicat de la copropriété 7 Sainte-Angèle, 2019 QCCS 5624.


[5] Syndicat de copropriété du lot 4185331 c. Staikos, 2018 QCCQ 6513.